12 of March 2021

ĂŠTRE DEHORS AVEC TOI, NE SERA PLUS JAMAIS PAREIL.

Avec l’installation Être dehors avec toi, ne sera plus jamais pareil, Corentin Darré interroge le devenir virtuel des espaces recevant les « cruisers » : déambulateurs homosexuels en quête de relations sexuelles.

C’est là. C’est dans un coin. On passe devant on ne le voit pas, ou plus. C’est un urinoir rouillé, un tee-shirt sur un parking en travaux, un buisson derrière un arbre, ou plutôt ce qu’il en reste, du buisson comme de l’arbre. Témoins silencieux des contacts visuels et corporels d’une infinité d’anonymes. 

A travers la modélisation 3D de ces espaces en voie de disparition et des avatars hyper-virilisés  inspirés de l’univers vidéoludique qui les peuplent, l’artiste souligne la disparition progressive de ces espaces urbains par les outils numériques dans lesquels ils se transposent. La présentation  de ces images dans l’espace recompose ainsi artificiellement la matérialité de ces pratiques désormais dissoutes dans le tissu urbain numérisé par les applications de rencontre. Par l’image de synthèse qu’il contrôle, le matériau brut utilisé comme signifiant, la disposition spatiale de l’installation recréant les conditions de déambulation du cruiser pour le visiteur, Corentin Darré restitue toute la violence en jeu dans ce processus de séduction conditionné. Les œuvres suggèrent alors paradoxalement des anti-sujets, corps désincarnés, fantomatiques, pourtant d’abord évalués par leur apparence, réelle, photographique ou fictive dans ce mouvement éphémère de croisement. Aux reconstitutions numériques répond la survivance des sujets par la parole. Incrustés dans le mobilier urbain indiciel, les témoignages extraits de forums spécialisés incarnent alors un vécu et humanisent une certaine bestialité latente. 

Produit historique d’une sexualité marginale et d’un groupe social stigmatisé, le modèle du cruising reflète une pratique construite sans autre choix que clandestinement et sans amour. Si les modèles digitaux qui lui font suite s’émancipent du conditionnement spatial et temporel duquel ils découlent, ils semblent bien en perpétuer les formes structurelles initiales. Dans le traitement qu’en fait l’artiste, l’espace du cruising, loin de la cabane d’enfant foucaldienne et bien que réel, s’éloigne alors de l’hétérotopie. Relégué dans les recoins sombres, sales ou inusités de la ville, le cruiser compose de facto avec un espace qu’il n’a pas choisi. Pourtant, entre les flaques de pisse et d’essence, les grillages et les déchets jetés dans les buissons se dessinent les contours d’une poésie en creux. Dans ces angles morts de la ville patriarcale et hétéronormée se déploient les formes sauvages d’un autre type de rencontre, d’un face à face devenu côte à côte. Cet espace, réel ou digital, accueille alors à bras, bouche ou cul ouvert la libre projection des fantasmes et des imaginaires de ses occupants. 

MalgrĂ© l’anonymat, ce que perçoit Corentin DarrĂ© dans le cruising et ce dont il rend compte dans cette installation, c’est le dĂ©sir d’une synthèse Ă©phĂ©mère entre le temps et l’espace qui sĂ©pare et relie Ă  la fois des corps dĂ©sirants et dĂ©sirables. Il rend possible ce rapprochement que le regard initie et conjure pour le meilleur ou pour le pire. Dans un frĂ´lement d’épaules se joue alors l’expĂ©rience de l’espace et l’espace de cette expĂ©rience. Dans la rencontre scĂ©narisĂ©e par le secret et la rationalitĂ© quasi Ă©conomique de l’acte sexuel se jouent les formes politiques, gĂ©ographiques et sociales d’une sexualitĂ© hors-norme qui interroge les fondements des mĂ©caniques relationnelles, y compris ceux de son double normĂ© opĂ©rant quelques pas plus loin Ă  la terrasse d’un cafĂ©.Â