Je crois qu’il faut ĂŞtre naif ou extrĂŞmement courageux pour continuer Ă faire de l’art dans un monde aussi fucked up.Â
Il n’y a pas si longtemps, les enfants qu’on Ă©tait soufflaient sur des pissenlits pour savoir si leurs crushs de maternelle les aimaient en retour. Il y en a beaucoup moins sur les trottoires des villes dans lesquelles on a atteri. Les crushs en question - le petit Maxime et le grand Panayotis - sont tombĂ©s du mauvais cĂ´tĂ© de l’hĂ©micycle. Je le sais parce qu’on est encore amis sur Facebook et que je vois passer les drapeaux entre un coucher de soleil et un patĂ© en croute. Je ne sais toujours pas ce qui m’a sauvĂ©. Ma queerness, l’art ou le pissenlit sur lequel j’ai soufflĂ© il y a 20 ans en faisant un voeux diffĂ©rent du leur.Â
C’est drĂ´le de faire courir son esprit sur ce geste enfantin. En y pensant, je me dis qu’on pourrait presque Ă©crire une petite histoire de l’art rĂ©cent calquĂ© sur les âges de la vie. C’était facile d’être moderne. L’enfant (qui pour les mentalitĂ©s de l’époque incluent d’ailleurs le sauvage et le fou) tenait la barre d’une authenticitĂ© fantasmĂ©e. C’est une idĂ©e sĂ©duisante de repartir Ă zĂ©ro. Le poète surrĂ©aliste Yorgos V. Magris disait vouloir “faire sauter l’acropole”, probablement justement pour se dĂ©lester du poids d’un passĂ© trop lourd Ă porter. J’imagine le scandale si Breton avait dit la mĂŞme chose du PanthĂ©on. Comme ils avaient plus l’amour de la formule que de l’action, c’est le postmodernisme qui Ă tout dĂ©zinguĂ©. Le bel idĂ©al de l’authenticitĂ© de l’enfant Ă volĂ© en Ă©clat quand on s’est rendu compte qu’on avait bricolĂ© des catĂ©gories pour mieux controler les individus qu’elles dĂ©signent. Le postmoderne, c’est un ado en crise qui bouffe Ă tous les rateliers de l’identitĂ© pour tenter de construire la sienne. Chez lui rien n’est vrai mais tout n’est pas faux. D’autant plus depuis qu’il a dupliquĂ© son existence sur internet. C’est compliquĂ© et surtout ça n’offre pas vraiment les perspectives poĂ©tico-politiques pour Ă©chapper Ă l’autophagie capitaliste que proposait la modernitĂ©. On en est lĂ : nostalgiques d’une enfance qui n’a jamais vraiment eu lieu comme on nous l’a racontĂ© et frankensteinisĂ© par un multiculturalisme ultra-consummĂ©riste. Pour la jeunesse vieillissante, la page blanche est une angoisse, le ratelier identitaire une dĂ©sillusion.Â
Alors non, on ne fera sauter ni l’Acropole ni le PanthĂ©on mais on peut se rassurer en se souvenant que la dĂ©mocratie athĂ©nienne c’était pas pour tout le monde et que les rĂ©volutionnaires français coupaient les tĂŞtes de ceux avec lesquels ils n’étaient pas d’accord. On digère et on repart en quĂŞte des fissures de la ville-monde pour retrouver ces petites boules blanches qui nous ont dĂ©jĂ sauvĂ© une fois. C’est pas de la naivetĂ© c’est du courage. Parce que personne ne fait de l’art sans aspirer Ă quelque chose de meilleur. C’est la beautĂ© de la spontanĂ©itĂ© des Dandelion seekers, un terreau commun de comprĂ©hension des expĂ©riences atomisĂ©es d’une gĂ©nĂ©ration. C’est ce qui fait communautĂ©. Celle-ci parcoure la ville-monde ou le digital realm santiague ou poulaine au pied, comme pour requoncĂ©rire son avenir. Elle Ă fondu ses jouets pour en faire des Ă©pĂ©es et dĂ©chirĂ© la veste militaire de papa pour en faire une jupe plissĂ©e.Â
L’avantage c’est que les pissenlits c’est comme la gentrification. Ça pousse partout : Ă Athènes qui est le nouveau Berlin qui est le nouveau Paris qui est le nouveau New-York qui lui-mĂŞme, il fut un temps, Ă©tait le nouveau Paris. Les mauvaises herbes n’existent pas. Il n’y a que de mauvais jardiniers dans des jardins mal foutus. Pas de miracle dans ces pseudo-transmutations urbaines. On fuit le monde qui nous rattrape. On cherche des pissenlits pour souffler Ă nouveau.Â