05 of January 2024

PRÊTESSE, LÉGISTE, CHIRURGIENNE, CHARCUTIÈRE.

Mummies, Maïa Lacoustille

Un extrait de ce texte à été publié dans le catalogue de l'édition 2024 de l'exposition 100% à la Villette, Paris. 

Avec Mummies, Maïa Lacoustille part des techniques de conservation que l’on retrouve dans la salaison du saucisson et d’une simple homophonie pour réunir un nouveau système de signes qui interroge le pouvoir exercé sur les corps des femmes à travers l’histoire. Sur un registre à la fois réel et métaphorique, les personnages (fœtus, cochon, surfeur) et leurs fluides suggérés (sperme, menstruation, eau, sang, salive) sont conduits, enveloppés ou stoppés par des éléments artificiels (vêtements, préservatif, serviette hygiénique, couches).

Le fœtus, figure centrale de cet ensemble, y concentre notre rapport ambivalent à l’indétermination : un espace d’investissement conflictuel de l’imaginaire, du désir et de la peur de la perte de contrôle face à ce qui n’est pas encore. Empruntant à l’Égypte antique une conception cyclique de la vie et de la mort, l’histoire linéaire est renégociée. Selon le système de croyance qui organise le monde, l’artiste se fait ainsi prêtresse ou légiste, d’abord en découpant la multitude d’enveloppes qui informent stéréotypes, interprétations et récupérations. C’est cette histoire superficielle et populaire qui multiplie les spin-off hollywoodiens, associe cochon, saleté et vulgarité ou fait de l’enfance un tabou intouchable. Une fois l’histoire mise à nue, elle en inspecte les traces, les cicatrices moins en quête de vérité que des anciennes coutures laissées par ses prédécesseurs. Autant d’indices permettant de déceler les montages trompeurs, les collages grossiers et les jointures apparentes d’une histoire située. Dans cette peau dévoilée, Maïa découpe, hack.

Moins chirurgienne que charcutière, elle broie porcs et monarques dans la machine du commun avant d’en recoudre toutes les parties, tenues par les bandelettes d’une nouvelle fiction que dessine nos déchiffrages de cet assemblage cryptique et multiréférentiel. Dans le patchwork de ce corps recomposé, tout est connecté, juxtaposé et déhiérarchisé. À l’image d’une génération contradictoire, le passé côtoie le présent et la fiction se mêle à la réalité.

À l’heure où commencent à tomber les statues qui célèbrent les tenants de l’histoire patriarcale ou coloniale, Maïa Lacoustille érige leurs pendants queers et féministes. En équilibre encore fragile et constamment recomposées, ces sculptures hybrides et vivantes se dressent sur des structures métalliques dont les formes évidées rappellent les chutes des socles qui soutiennent l’autre statuaire : figée, morte et oppressive.

À la fois imposantes et vulnérables, les sculptures de Mummies proposent une alternative formelle et idéologique qui se joue des codes de la sculpture traditionnelle. Face aux réceptacles d’une mémoire passive et confiée à l’objet, elles sont autant de manifestations d’une culture bouillonnante à activer et de reflets d’une mutation continue des corps et des images dont les emprunts du passé sont au service de l’avenir.